GrandPa

June 20, 2019 Share

À l’école : sur les bancs ou dans le chœur

Je suis né à la Maison Blanche et j’ai été baptisé à « Bethléem ». L’église de Bethléem. La Maison Blanche, c’était une ferme. C’était pas son vrai nom, son vrai nom c’était la Tambride, une ferme qui n’existe plus. Il y a encore les bâtiments mais c’est construit tout autour. Et c’était à 3km. Donc le matin, réveil 6h, départ 7h, et école à 8h. On se tapait 3km aller et 3km retour !

L’église Notre-Dame de Bethléem de Clamecy a été construite en 1926 en ciment armé – c’est l’une des premières constructions utilisant ce matériau. Son architecture s’est inspirée des sanctuaires byzantins, avec sa grande coupole centrale. Aujourd’hui classée monument historique, l’église est désaffectée. Sa crypte est couvertes de fresques de style cubiste.
 

Pour moi, l’école primaire s’est passée pendant la période de guerre. De 1938 à 1946. Ils n’avaient pas de profs, à l’époque, c’était des vieux qui faisaient ça, qui n’avaient aucune formation. Ils suivaient leurs bouquins, et puis : « Récitez-moi ça, fais-moi ci, fais-moi ça »… un coup de règle sur les doigts, et paf, une paire de claques. Ça ne m’emballait pas trop, alors j’avais trouvé la combine d’être enfant de chœur – mon école était catholique. Mon record dans la journée, ça a été 4 enterrements ! Mon père n’en savait rien, mes parents ne savaient pas. Ils savaient que j’étais enfant de chœur le dimanche, mais pas que je faisais des enterrements comme ça… Du reste, quand mon père l’a su, il a été voir le directeur et lui a dit : « Maintenant c’est fini, ça. Hop, au boulot ! »


“Récitez-moi ça, fais moi ci fais moi ça, un coup de règle sur les doigts, et paf, une paire de claques. J’avais trouvé la combine d’être enfant de chœur. Parce que là où j’étais, c’était une école catholique. Mon record dans la journée, ça été 4 enterrements, mon père n’en savait rien, mes parents ne savaient pas. Ils savaient que j’étais enfant de chœur le dimanche, mais pas que je faisais des enterrements comme ça. Du reste quand mon père l’a su, il a été voir le directeur et lui a dit : ‘Maintenant c’est fini, ça. Hop, au boulot !’ On attaquait la 3e dictée à midi ! Ça ronflait là, oh la la…”
 

 

En voiture, Simone !

Après le Certificat d’études, j’ai dit : « Ouf, ça y est ! Débarrassé. Au moins on va me ficher la paix avec ça ». Ce que j’avais pas vu, c’est qu’il se préparait un paquetage, dans une pièce de la maison. Et à un moment, on m’a dit : « Allez, en voiture, Simone ! »… et on m’a emmené en pension. On m’a pas demandé mon avis. À la pension, il n’y avait pas des vacances comme maintenant. C’était la Toussaint – pas grand chose–, y avait Noël et les grandes vacances. On arrivait fin septembre et on finissait le 15 août. Et à la ferme, il fallait faire tous les travaux avant de repartir. Quand ça été fini, au bout de 3 ans, mon père a dit : « Maintenant, tu vas faire… »
« Ah non, c’est fini, ce coup là, c’est terminé ! », j’ai dit.

 

 

Le tracteur Gazogène 3,
un sacré engin !

Mon père, pendant la guerre, avait eu un bon pour acheter un tracteur Renault, un Gazogène 3 : vous ne pouvez pas vous imaginer le bordel que ça peut être ! On coupait des petits bouts de bois grands comme ça et de la charbonnette gros comme mon bras. Et fallait couper ça sur une scie circulaire ; fallait pas de sciure. Fallait faire attention, c’est comme ça que j’ai une main qui a été marquée, le bout de bois a tourné, et puis ma main a été traîner dans la scie… Et pour mettre un tracteur comme ça en route, le matin, il fallait 2 heures : tout nettoyer… Et il ne fallait surtout pas l’arrêter, parce que s’il s’arrêtait, pour le remettre en route, c’était la croix et la bannière. Quand je suis rentré de pension, j’ai dit à mon père : « Ton char d’assaut, maintenant, c’est fini ! » À l’école, des firmes (à l’époque ils étaient intelligents dans les firmes) étaient venues nous faire la démonstration et nous faire essayer les tracteurs. En France, il y avait Renault, c’était à peu près tout, et c’était des chars d’assaut. Mais il y avait tout ce qui venait d’Amérique : Oliver, John Deere, McCormick, Massey-Harris…

“Pas d’essence, pas d’importance !” C’est la fierté des campagnes françaises, dans les années 1920, de pouvoir labourer, moudre, presser grâce au gazogène, un moteur au bois et charbon de bois assurant l’indépendance énergétique… Le « gaz des forêts », utile en période de pénurie, sera remplacé après guerre par le diesel, tout de même plus pratique d’utilisation !
 

 

Papa, les Américains
et l’alcool de bois

Le débarquement a eu lieu en 1944. En février 1945 on est partis en Normandie, chercher des jeunes veaux parce qu’on n’avait plus de bétail, et mon père avait eu un copain, prisonnier avec lui, qui lui avait communiqué qu’il pouvait lui trouver des bêtes. C’est incroyable, on était vraiment dans la pleine Normandie ! C’est-à-dire que la ferme était dans le fond d’un trou où il y avait un point d’eau. Tu avais l’étable, la maison d’habitation… tout ça se tenait. Les portes communiquaient entre elles… Y avait pas de route pour descendre. La voiture restait sur le faîte, sinon on ne pouvait pas remonter. Et à l’époque, en 1945, les Américains, ils débarquaient. Ils remontaient sur l’Allemagne à ce moment, sur l’Allemagne, sur l’Est, enfin un peu partout. Et y avait un pipe line, un tuyau qui montait le carburant qui venait de la mer, dans les bateaux, et qui les suivait. On n’avait pas le droit de passer dans ce coin là. Ils avaient ce qu’on appelait la « MP » ( Military Police), avec des carabines. Tu pouvais pas approcher, là. Parce qu’ils ne faisaient pas de sommation avant de tirer.

Et donc il fallait faire des tours, et ils nous ont arrêtés, à un moment, les Américains, pour savoir avec quoi on roulait. C’était de l’alcool de bois. L’alcool de bois était fabriqué à Clamecy : ça puait ! Les Américains, ils ont bien vu que c’était un fût à essence… Ils ont voulu qu’on le débouche. Mais comme on ne connaissait pas leur langue et qu’ils ne connaissaient pas la nôtre, on a ouvert le bidon, et mon père a fait comprendre que c’était pour mettre dans la voiture. Quand l’Américain a mis le nez au dessus, il a fait une mine, l’air de dire : « Fermez moi ça et puis foutez moi le camp ! »

 
“L’alcool de bois était fabriqué à Clamecy. Mais ça puait, vous pouvez pas vous imaginer ! Et on en utilisait beaucoup : si aujourd’hui, on en fait 5-6 litres, on en faisait 15 litres, à l’époque. Et les huiles n’étaient pas ce qu’elles sont maintenant… Fallait emmener le carburant, fallait emmener l’huile, fallait emmener un flotteur, parce que ça bouffait l’étain qui était sur les flotteurs, ça bouffait tout. Et on s’est fait arrêter par les Américains, ils ont bien vu que c’était un fût à essence, ils étaient pas cons à ce point là… Ils ont voulu qu’on le débouche. Mais comme on ne connaissait pas leur langue et qu’ils ne connaissaient pas la nôtre, on a ouvert le bidon, et mon père a fait comprendre que c’était pour mettre dans la voiture. Quand l’Américain a mis le nez au dessus, il a fait une mine, l’air de dire « fermez moi ça et puis foutez moi le camp ! »
 

 

Les prisonniers de guerre

J’ai passé un bac agricole. Mais ça n’avait rien à voir avec le bac agricole d’aujourd’hui. À l’époque, il y avait des cours et de la pratique. Par promotions : 4 demi-journées de pratique par semaine. On faisait tout ! Le matin, si t’étais de vacherie (les vaches à lait), tu te levais à 6h. Celui qui nous commandait, c’était un allemand prisonnier. C’est lui qui nous commandait, parce que c’était lui le vacher. J’étais entre 1946 et 1949, moi, là-dedans. Un prisonnier qui venait de la Russie. Tu penses bien qu’il n’allait pas retourner dans son pays, celui-là. Il était pas pressé ! Il avait « PG » dans le dos : « Prisonnier de Guerre ». Tous les prisonniers avaient ça. Sur la capote c’était marqué « PG ». Tous, à la craie, à la chaux…

Après la Libération, environ 525 000 soldats allemands sont restés prisonniers de guerre en France, et ont aidé à reconstruire le pays.

Chez mes parents, il y en a eu 5, de ces gens-là. Les premiers qui sont partis sont ceux qui ont été libérés par les Américains. Ceux-là sont partis de bonne heure. Mais ceux qui ont été libérés par les Russes, ils n’avaient pas tellement envie de partir. Ils avaient des professions différentes. C’était des artisans ces gars-là, et ils travaillaient dans la ferme. Ils ont appris le français. C’était des gars qui avaient 40-50 ans, qui avaient des enfants, là bas. On en avait 5. Y avait un maçon, un maréchal-ferrant, un mécano, un boulanger et puis le dernier je ne me souviens pas. Ils essayaient de travailler là et d’être peinards. Surtout pas dans un camp. Parce que dans un camp, c’était serré et ils ne mangeaient pas comme chez nous. Ils étaient logés, nourris, blanchis. De temps en temps, on leur donnait ce qu’on appelait des vêtures c’est-à-dire pantalon, chemise, caleçon… C’est eux qui lavaient leur linge, ils se débrouillaient tout seuls.

 

 

Le travail à la ferme

L’agriculture, c’était pas comme maintenant. Les vaches à lait maintenant c’est une profession : y a la traite le matin, la traite le soir, et c’est fini. Avec, maintenant, des installations : les vaches vont se faire traire toutes seules, elles se débrouillent toutes seules. Elles vont manger toutes seules. Et puis les vaches à viande, à cette époque-ci, c’est rentrer dans les stabulations, faut leur donner à manger, faut refaire de la paille, faut faire les vélages… Mais chez nous c’était pas ça : y avait des vaches à lait, des vaches à viande, y avait des moutons, des porcs, y avait des céréales… On était toujours en train de travailler. On allait chercher du foin, on montait dans le chariot… Eh oui ! Et puis y avait aussi les fruits à ramasser, y avait les pommes, les poires, les cerises… Fallait ramasser tout ça, oh la la ! Y avait tout le temps du boulot ! À la fin de l’été, c’est pas que l’école m’emballait tellement, mais j’appréciais de repartir à l’école, pour retrouver les copains. Et puis mon frère c’était pareil. Et puis les autres c’était comme ça, tous ceux de mon âge c’était comme ça.

 

 

Les amis

Quand j’étais à l’école primaire j’étais ce qu’on appelle demi-pensionnaire ; c’est-à dire qu’on arrivait le matin et on rentrait après les devoirs. On mangeait sur place. Là, j’avais des copains. Des copains qui ont 85-90 ans aujourd’hui. Les trois-quarts sont décédés. J’en ai enterré un, encore, y a pas longtemps. Des amis, j’en enterre un tous les 15 jours-3 semaines. Voilà, c’est comme ça… Y en a un qui est en train de décéder : il est à Corbigny, il est de mon âge. Alfred Daupin, dit « Freddy ». Malheureusement il est dans un lit, il entend ce qu’on dit mais il ne peut plus parler, faut le faire manger, bref… Il y avait son cousin, j’étais à l’école primaire avec lui, on s’est retrouvés à Fontainebleau à l’armée. On est rentrés. On s’est retrouvés après à Bourges, rappelés. On est partis au Maroc ensemble.
On n’avait pas le temps d’avoir des copains quand on était jeunes. C’était sans arrêt, à la ferme, on était tout le temps en train de jongler. Et puis après à l’armée, j’avais des bons copains mais ils étaient de la région parisienne. Nous on était de la Nièvre…

 

 

Le bal du samedi soir, les filles

Ça n’avait rien à voir avec vos danses, où vous vous trémoussez, là… On dansait la valse, le tango… Un homme une femme. Les mères étaient là, pendant le bal. Et le jeune homme demandait à la maman ! Si la fille avait déjà un copain, la mère le savait ou pas… Le mec venait et faisait danser la fille : s’il plaisait à la mère, pas de problème. Si ça plaisait pas, la fille, elle restait sur le banc ! C’était pas comme maintenant, c’était très strict !

“– Un bal du samedi soir. Comme tous les bals qu’y avait à l’époque. Ça n’a rien à voir avec vos danses, où vous vous trémoussez, là. On dansait la valse, le tango…
– (GrandMa) Un homme une femme, tu vois ! Et le jeune homme il demandait au papa !
– C’était la maman, plutôt. Et si la fille, elle refusait, elle pouvait pas refuser au deuxième, hein ! Si elle avait refusé à un, le 2e c’était pas la peine qu’il se pointe. J’veux pas dire que c’était des règles. Mais une fille, elle avait des vues sur un mec. Comme par hasard c’est pas lui qui est arrivé, ç’en est un autre. Elle lui refuse, mais après, fallait pas qu’elle reparte avec l’autre mec, hein !”
 

On allait à la foire à Corbigny tous les 2e mardis du mois. On se retrouvait toute une bande, garçons et filles. Nous, on allait sur le champ de foire, on regardait les bêtes vite fait : si on n’avait pas à s’en occuper, on se taillait et on allait voir les copines. À midi on se retrouvait à 5, 6 ou 7 au café et on buvait des « guignolet kirsh » – apéritif à base de liqueur de cerise. Si on était 5, c’était 5 tournées : les filles payaient leur tournée pareil !

Le champ de foire de Corbigny. La foire aux bovins et ovins est restée, de nos jours, un moment fort de l’année à Corbigny.
“On se retrouvait toute une bande, garçons et filles. Alors nous, on allait sur le champs de foire, on regardait les bêtes vite fait, si on avait pas à s’en occuper, on se taillait et on allait voir les copines. À midi on se retrouvait 5-6-7 au café et on buvait des guignolet-kirsh. Si on était 5, c’était 5 tournées ! Les filles payaient leur tournée pareil.
– C’est quoi un guignolet-kirsch ?
– Guignolet, avec du kirsch.
– C’est quoi un guignolet ?
– C’est à base de cerise. “
 

 

Les vacances

Les vacances, j’en ai pas eu. À 12 ans, l’école se terminait fin juin-début juillet et on rentrait début septembre. Et c’était : garder les vaches, garder les moutons, c’était être derrière les chevaux, relever des gerbes, c’était faire du foin, c’était biner les betteraves, c’était ça, sans arrêt, sans arrêt… J’habitais dans une ferme à Clamecy, à 40km d’ici. Le matin, c’était comme à l’école, c’était réveil à 6h, coucher à 8h, 9h ou 10h : il n’y avait pas de télé, pas de machin comme ça, pas de journaux… On marchait avec le soleil. Le matin, on nous réveillait « Allez ! Y a ça à faire, y a ceci, cela… » Il fallait se dépêcher. On n’a jamais su ce que c’était que des vacances.

 

Mes premières vacances, c’est quand je me suis marié, j’avais 28 ans. On est partis dans le Midi en voiture… mais autrement j’savais pas ce que c’était. Ah non non : boulot boulot ! Quand j’ai commencé de travailler, je suis rentré dans la vulgarisation. Le matin avant de partir, il y avait des choses à faire à la ferme ; le soir si je rentrais assez tôt – ça dépendait du travail que j’avais à faire sur le terrain –, en rentrant j’avais encore du boulot à faire.

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