Liette Blum

Grandir en Alsace au-dessus d’une usine

On était à La Mertzau, c’était éloigné du centre- ville. J’étais toute seule. Il n’y avait personne… J’étais tout le temps toute seule, et j’étais sous mon marronnier, à jouer avec le sable. Ma mère regardait par la fenêtre pour vérifier que j’étais bien là. On habitait au dessus des bureaux, dans l’usine.

J’ai commencé l’école à 5 ans. Je crois que c’était une école protestante, mais ça ne me dérangeait pas, à 5 ans ! Mon cousin Francis Rubin m’emmenait parfois sur son vélo jusqu’à l’école.

Je n’ai jamais eu beaucoup de copines, parce que j’habitais loin et qu’elles habitaient davantage en ville, et surtout dans le quartier des villas, qui s’appelait le Rebberg. À Mulhouse, j’avais sympathisé, je me souviens, avec Ginette Schwartz et sa sœur Françoise ; c’était très compliqué de les voir. Je les voyais de temps en temps…

Quand j’avais à peu près 13 ans, et que je passais pour aller prendre mon train pour l’école, il y avait des enfants qui criaient « Die Jude (la juive) !»  Je devais prendre mon train au niveau du cimetière catholique : 5 minutes de marche à peu près : et c’est sur ce trajet que les gosses me criaient dessus. Pas spécialement des enfants d’employés de l’usine…

– Tu m’avais raconté il y a longtemps qu’il y avait des gens qui t’emmerdait parce que tu étais juive quand tu allais à l’école.
– Oh bah qui criaient Die Jude.
– C’est ça. C’était pas tous les jours ?
– Quand j’allais prendre mon train. Quand j’étais en vélo, non.
– Mais t’avais quel âge ?
– 13 ans.
– Par la fenêtre ? Quand ils te voyaient passer ?
– Non bah ils étaient dehors.
– Et c’était qui ces gens-là ?
– Ben tu sais, à la Mertzau il y avait l’usine. Et puis là il y avait des logements ouvriers. Et puis là un jardin.. enfin des pelouses avec des arbres mais ouverts. Et tous les cimetières étaient au fond et moi j’avais le train qui était au cimetière catholique. Alors il y avait le cimetière juif et le cimetière catholique ça me faisait, je ne sais pas combien, 5 minutes de marche. Et c’est là que les gosses me criaient dessus.
– C’était des enfants des ouvriers de l’usine en fait ?
– Pas spécialement de l’usine.
Dans le quartier de La Mertzau, le cimetière juif et le cimetière catholique étaient mitoyens.
Surnommée la “Manchester” française, Mulhouse a constitué l’un des premiers pôles industriels français au moment de la Révolution industrielle, avec ses nombreuses usines textiles et ses filatures. Elle développe également les filières minières et chimiques et aménage, dans la 2nde moitié du 19e siècle, une cité ouvrière ; tandis que sur la colline du Rebberg, les riches industriels textiles se font construire de magnifiques villas. La Mertzau, rue excentrée, au nord-ouest du centre de Mulhouse, accueillait une zone industrielle. Elle a depuis été complètement requalifiée.

Je me souviens bien des grèves en 36. Pendant le Front populaire. J’avais reçu pour mon anniversaire un ballon, et puis… j’avais dû le laisser sous mon arbre ; ils me l’ont pris ! Ils jouaient au foot avec… Moi, j’ai jamais rien dit. Et comme nous, on était au premier étage, au-dessus des bureaux, on avait les grévistes en bas. C’était pas marrant.
Papa n’était pas directeur à l’époque : il s’occupait de la recherche, des labos et de l’usine aussi, mais il était plutôt chercheur. Il dirigeait l’usine du point de vue technique. Il y avait un directeur général et il était sous directeur. C’est après la guerre qu’il est devenu directeur. C’est lui qui a remis l’usine en marche.

 

 

Une famille éclatée par la Shoah

Mon grand-père maternel est mort quand j’avais 5 ans. Je l’ai très mal connu : il habitait Strasbourg, et nous, Mulhouse. Jamais je ne suis allée à Strasbourg. Maman y allait, et moi je restais à la maison.

Du côté de maman, ils étaient 6 enfants. Une chose normale à l’époque. Il y avait deux frères et une sœur à Strasbourg. L’aînée était a Colmar, je la détestais ! En revanche, j’aimais beaucoup ma tante Fofo. Suzie était gentille, mais la pauvre, elle est morte à 50 ans. Je ne sais plus ce qu’elle a eu. Une maladie que l’on a appris à guérir à cette époque, mais c’était trop tard. Mon oncle avait téléphoné à papa pour lui dire : « Maintenant sa maladie se guérit. Mais pour elle, c’est trop tard ». C’était la fin. Affreux. Elle avait 50 ans.

Et du côté de mon père, ils étaient 5 : Robert. Fernand. Papa. George. Et la petite fille qui était morte de la scarlatine. Il y en avait un qui habitait en face du lycée, dont la femme s’appelait Jeanne. Je ne pouvais pas la supporter, elle sentait mauvais…

– Il y en avait qui habitait en face du lycée dont la femme s’appelait Jeanne. Je ne pouvais pas la supporter, elle sentait mauvais.
– T’aimais personne ! Entre le vulgaire et celle qui pue !
– Non mais elle sentait mauvais moi je ne pouvais pas supporter ça. Et alors tous les ans, mes parents m’envoyaient en vacances avec elle dans une vallée des Vosges, a [Preta]. J’etais malheureuse comme tout parce qu’elle sentait mauvais.
– Et ils t’envoyaient tous les ans en vacances ? Et comment il s’appelait l’oncle ?
– Robert.


Et Fernand, autre frère de mon père : il me pinçait la joue, je ne supportais pas. Et sa femme était sourde. Et c’est affreux parce que sa fille était gentille, Pauline, plus âgée que moi, très grosse. Moi j’étais plutôt sportive, et elle pas du tout. Elle avait des robes, je me souviens, très sophistiquées… Et son frère Jacques, plus jeune, insupportable, je ne l’aimais pas du tout. Ils ont tous été déportés, de Nîmes.

La descendance côté Blum (mon père) : il y a Véronique Barbier, avec qui je corresponds, et y’avait Ralph qui était à Nancy. Je pense que sa femme est morte, je ne sais pas. Les enfants… : un fils. Je le connais pas.

Et côté Gainsburg, je vois Françoise. Elle va peut-être venir ici avec son mari. Et Monique de Vaux, une des filles de Jeannie, qui était médecin. Elle vient me voir. De ce côté, à part Jacques, qui a été déporté, les autres s’en sont sortis.

Il y avait aussi une cousine de maman qui venait nous voir, tante Tine, qui s’appelait en fait Valentine Roos, originaire de La Chaux-de-Fonds ou de Genève. C’était la mère de Marthe, qui m’a appris à lire et à écrire, quand j’avais 5 ans je pense. Le père, je ne l’aimais pas du tout. Un immense gars très ordinaire. Ils étaient juifs aussi

 

 

Le 10 mai 1940

Le 10 mai 1940, les armées d’Hitler envahissent les Pays-Bas, la Belgique, le Luxembourg et la France : après la “drôle de guerre”, c’est le début de la “bataille de France”…

On est partis le 10 mai 1940, quand il y a eu l’invasion. Papa avait un énorme bidon d’essence qu’on avait dans la voiture – il n’y avait plus d’essence nulle part. Le mari de d’Yvonne, Jean Dreyfuss – qu’on n’aimait pas du tout… parce qu’il était pas sympa avec Yvonne – est venu dire : « Il faut partir. C’est très mauvais, les Allemands arrivent. » Et c’est lui qui nous a fait partir. La majorité des juifs sont partis.

… et de l’exode : 8 à 10 millions de Français envahissent les routes, soit près du quart de la population !


On ne pouvait pas aller directement à Besançon et on est passé par les Vosges. Je me souviens toute la nuit, papa a conduit pour arriver à Besançon. Là, on a rejoint mon oncle Charles et ma tante Fofo à Besançon et on est tous partis à deux voitures. On est arrivé à Vichy, où maman avait soi disant sa meilleure amie, qui s’appelait Ernestine Dreyfuss : elle ne nous a pas reçus ! Ou à peu près… Donc on est repartis. Maman en avait gros sur la patate… Ils avaient un grand appartement, ils étaient très très riches… Et puis on est partis et on est arrivés… à Aurillac. Par hasard. Je pense qu’on n’avait plus beaucoup d’essence ! À Aurillac, il y avait un tout petit hôtel qui faisait bistrot. Et là, mon oncle et ma tante ont eu une chambre. Est-ce que mes parents ont eu une chambre, je ne sais plus… moi j’étais logée chez des habitants, dans des combles, je détestais ça ! Toute seule. On est resté jusqu’à la première armistice : la défaite de la France.

 

 

Au pensionnat

Papa a été nommé à Beaucens. Il avait été copain, à l’école de chimie, avec Fraussart, qui était président de Kuhlmann. Et comme l’usine était une filiale de Kuhlmann, il était très sympa avec papa. Il lui a dit : « Il faut que tu ailles à la poudrerie de Beaucens et tu feras de la recherche pour Kuhlmann. » Sympa mais… Beaucens c’est un trou !
Il y avait un hôtel, quelques maisons et l’usine, où papa avait son labo. Mais le lycée le plus proche, c’était Saint-Gaudens. Pendant un trimestre, j’ai été pensionnaire à Saint-Gaudens chez une bonne femme… je crevais de faim ! Le jeudi et le samedi je rentrais à Beaucens. Et l’hôtelier de mes parents, qui était adorable, me disait : “Mademoiselle Juliette, on va vous faire des bons beefsteaks. » Adorable ! Et il me donnait des steaks énormes !

Au pied des Pyrénées, au bord de la Garonne, Saint-Gaudens se trouve à 100km de Beaucens, dans la vallée d’Argelès-Gazost.
 

 

À Toulouse : rencontrer Mayette, passer son bac pendant l’Occupation

Mon père a ensuite été nommé à Toulouse (1941) dans un labo agricole de chimie. Il était tranquille : aussi bien le directeur que les profs qui s’occupaient du labo étaient résistants. On habitait quai Matabiau : c’était des petites villas avec jardins. Il y avait une sage femme, au rez-de-chaussée, et nous, au premier. L’économe du lycée de Mulhouse, mademoiselle Fonlupte, qui habitait juste derrière, m’avait dit que son frère dirigeait les maquis du Sud-Ouest. Et elle m’avait dit: “Si jamais vous entendez à 4 heures du matin sonner, vous sautez dans le jardin – j’avais un drap. Vous sautez chez nous.”
Et à 4 heures du matin, très souvent on entendait sonner : mais c’était des accouchements !

– On habitait Quai Matabiau ; c’était des petites villas, et il y avait une sage femme au rez-de-chaussée, et nous on était au premier, et derrière… donc c’était des villas avec jardin, et juste derrière il y avait l’économe du lycée de Mulhouse et le prof de chant. Juste derrière. Alors elle m’avait dit que son frère dirigeait les maquis du Sud-Ouest. Et elle m’avait dit: “Si jamais vous entendez à 4 heures du matin sonner, vous sautez dans le jardin. J’ai un drap et vous sautez chez nous.”
– Ça, c’est la prof de chant ?
– La prof de chant et surtout l’économe du lycée. Donc je ne sais pas comment ça s’appelle maintenant. Et à 4 heures du matin, très souvent on entendait sonner, et c’était des accouchements !
– Ah l’horreur ! Et donc t’avais trop peur ?
– Tu sais on était inconscient. J’avais souvent peur.
Extrait d’une brochure antisémite distribuée aux étudiants lors de l’examen du baccalauréat le 25 juin 1942

Mon bac, c’était en 1942. Dans un amphithéâtre, au moment de l’appel, quand on m’a appelée « Mademoiselle Blum », tout le monde m’a huée. Je me vois descendant les marches pour aller à mon bureau, et huée : c’était horrible. J’ai passé l’examen, et puis je devais y retourner l’après-midi. Mais j’ai dit à ma mère « J’y vais pas ». Je pleurais. Mayette est venue me chercher et elle m’a emmenée : on y est allées ensemble et je n’ai pas été huée. On n’était pas encore spécialement amies ; c’est après qu’on est devenu amies. J’avais 19 ans.

 

 

1944 : séparation

Après le bac, je suis entrée à l’école de chimie et à la fac – je passais un certificat de chimie générale a la fac.
C’était dangereux. On habitait près de la gare Matabiau et souvent, la nuit, on entendait, bizarrement, des sifflets de locomotive, mais pas du tout normaux. En fait, c’était la Résistance. Mais ça, on ne le savait pas. On ne savait rien. On habitait quai Matabiau et au bout du quai, il y avait la gare…

En février ou en mars 1944, mes parents ont dû partir. Parce que c’était dangereux. On avait dit à Mademoiselle Fonlupte, l’économe du lycée de Mulhouse, qu’il y aurait des rafles. Elle savait, par son frère, qu’il fallait partir. Et alors les parents de Mayette ont dit “oui mais Liette va rester chez nous.” Pour que je puisse continuer mes études C’était très risqué, mais on ne le savait pas. Mes parents et les Dupuis, les parents de Mayette, ne se connaissaient pas plus que ça…

Mes parents sont partis et je suis restée trois ou quatre mois chez Mayette. Pour aller au petit coin – ils habitaient au rez-de-chaussée – il fallait traverser un couloir, c’était pas dans l’appartement. Et il y avait des rats ! Je ne supportais pas. Mayette ne supportait pas très bien non plus !
La mère de Mayette était pétainiste. Mais pour nous elle était formidable. Monsieur Dupuis était commandant dans l’armée… Ils étaient plutôt pétainistes, mais leur fils était à Londres.

– Et la mère de Mayette elle t’a hébergée, mais pendant combien de temps ?
– Et elle était Pétainiste. Mais pour nous elle était formidable. Parce qu’ils ont pris toute notre argenterie, tout ce qu’on avait d’un peu de valeur. Monsieur Dupuis était commandant dans l’armée.
– Oui je me souviens qu’il était militaire, qu’elle chantait toujours des chansons militaires, Mayette.
– Et il avait tout enterré dans son jardin.
– Et c’est eux qui ont proposé à tes parents que tu ailles vivre chez eux ?
– Pour que je puisse continuer mes études.
– Mais ils savaient quand même le danger qu’ils couraient, eux ?
– Bien sûr, tout le monde comprenait. Mais leur fils était a Londres. Ils étaient plutôt Pétainistes mais leur fils était quand même… le frère de Mayette.
– Et on aurait dû faire un truc pour que Mme Dupuis devienne une Juste.
– Oui.
 

 

Dénonciations

Mon cousin Jacques Hirtz : on avait été très proche à Toulouse. Hyper sympa… Il venait tout le temps à la maison. Il venait voir sa tante, c’était sa seule famille.
Il était dans le cinéma, il avait travaillé avec Clouzot… et il avait ouvert un restaurant parce qu’il ne pouvait plus travailler dans le cinéma pendant la guerre. Il a été dénoncé par celle qu’il employait. Son employée. C’est elle qui nous l’a annoncé. Elle m’a mis un mot. Mes parents étaient partis à Saint-Sozy et moi j’étais chez Mayette ; on allait tous les quelques jours relever le courrier à notre ancienne adresse du quai Matabiau. Et un jour, on a eu un mot écrit sur un papier, je me souviens. Quelque chose comme : “Si vous voulez des nouvelles de Jacques Hirtz, venez au restaurant. » C’était une lettre anonyme, écrite avec des lettres découpées dans des journaux.

On l’a montrée à Mme Dupuis et elle a dit : “et ben moi j’y vais. Je vais dire que M. Hirtz m’avait donné rendez-vous”, parce qu’il vendait des propriétés. Et elle y est allée, et elle a dit :
– “Je voudrais voir M. Hirtz pour voir une propriété”.
Et on lui a répondu :
– “Ah bah il est absent.”
– “Quand est-ce que je pourrais le voir ?”
– “Bah je sais pas, il est absent.”
Alors on a compris. Elle m’avait envoyé ce mot à moi, elle voulait que je vienne pour me dénoncer moi aussi… Enfin, moi, je n’y serais pas allée… Cette bonne femme, je crois qu’elle a été exécutée après la guerre.

 

 

Les Justes

Il y a énormément de gens qui nous ont aidés. Une année, on a passé l’été dans une vallée des Pyrénées dans un endroit dont je ne me rappelle plus le nom : on a connu un couple dont le monsieur était tuberculeux. Il avait une fabrique de gâteaux secs, Bonnet je crois qu’il s’appelait. Mes parents avaient beaucoup sympathisé avec lui ; toute la guerre, ils ont envoyé à François, qui était prisonnier, des colis de gâteaux secs

Et puis l’évêque de Toulouse, qui s’appelait Monseigneur de Solages et était très actif. Il a caché des juifs : je crois qu’il était dans la Résistance. C’est par lui que j’ai eu des faux papiers. C’est mademoiselle Fonlupte, l’économe du lycée, qui lui a donné mon nom. Son frère qui dirigeait le réseau du Sud-Ouest, c’était un grand résistant. Un jour, elle m’a apporté mes faux-papiers, au nom de « Blanchard ».

 

 

Mai 44 : Débarquement et retrouvailles

Je crois qu’au mois de mai, mademoiselle Fonlupte m’a dit : « faudrait que vous rejoigniez vos parents. » Alors j’ai pris le train, paniquée, avec mes faux papiers. J’avais toujours le nez dans mon livre. L’horrible voyage. Finalement, personne ne m’a demandé mon papier. Je suis descendu à Souillac .

Tante Fofo et Oncle Charles étaient à Aurillac. Nous on était à côté de Souillac, à Saint-Sozy. On avait rencontré dans les Pyrénées ce couple de fabricants de biscuits. Le père de lui était le maire de Saint-Sozy. Le fils leur a dit : “il faut trouver un gîte pour les Blum »… qui s’appelaient ‘Blanchard’.
On habitait cette ferme où il y avait des souris et des rats. On allait chercher l’eau à la fontaine. C’était très primitif. Ce que Maman ne supportait pas, c’était les rats et les souris. Elle supportait tout mais pas les rats. Et elle s’est tapée une sciatique paralysante : elle ne pouvait plus bouger. Alors ils ont fait venir un médecin résistant. Tout le village savait qu’on était juifs et qu’on était cachés. Je pense que tout le monde était au courant ; ils faisaient comme si de rien n’était.

Et alors les Allemands ont fui, l’été 44, et ont commencé à remonter. Le maire a envoyé toutes les filles du village au moulin. Ils ont fait grimper toutes les filles dans la montagne : on a toutes dormi au moulin. Moi je ne connaissais personne, mais elles étaient très gentilles avec moi. Et mes parents étaient restés, avec maman qui avait sa sciatique, au lit.

Les Allemands ne sont pas passés par Saint-Sozy. Ils sont passés un petit peu plus bas, je sais pas où exactement. De la montagne, on a vu la colonne des Allemand…
Et c’est là qu’il a eu le massacre d’Oradour-sur-Glane. C’était plus au nord. Affreux. Mais nous, on savait rien.

– Je ne sais pas pourquoi, ils ont fait grimper toutes les filles dans la montagne à un moment donné. Tu sais, tous ces gens là, ils communiquaient, nous on ne savait rien. Et de la montagne, on a vu la colonne des Allemands, qui n’est pas passée par Saint-Sozy. Je sais pas où, il faudrait que j’ai une carte. Et c’est là qu’il y a eu le massacre d’Oradour-sur-Glane. C’était plus au nord.
 – Ces Allemands-là, ils ont fait le massacre après. Quelle horreur.
– Affreux. Mais nous, on savait rien.
– Mais tu savais pour les camps de déportation ?
– Si, on savait qu’il y avait des gens qui étaient déportés.
– Mais on savait pas ce qui leur arrivait. Et t’as appris quand?
– Après la guerre.
 

 

Après la guerre : retour à Mulhouse, puis Paris

Après la guerre, avec le diplôme d’ingénieur chimiste que j’avais passé à Toulouse, j’ai travaillé à Mulhouse. J’allais au labo de l’usine. C’était des filles très très sympas, qui m’avaient vu naître, et qui m’ont appris des tas de choses de base. Parce que moi, j’avais été uniquement à la fac, je n’avais jamais travaillé.
Et puis ensuite, je suis partie à Paris ; parce que je ne pouvais plus supporter, c’était tellement restreint. J’en ai eu marre ! À La Mertzau, j’étais loin, j’en avais ras le bol. Je n’avais même plus mon amie Juju, qui s’était mariée à Paris…

Papa m’a trouvé un travail grâce à M. Lantz, qu’il connaissait. C’était une usine Kuhlmann, à Saint-Denis. Il m’a trouvé du boulot immédiatement. Papa était plus tranquille, il s’est dit : “Si elle travaille là, ça ira…”

Les Établissements Kuhlmann, entreprise industrielle française de chimie fondée en 1825, sont devenus aujourd’hui le groupe Péchiney-Ugine-Kuhlmann.

Tous les ingénieurs, on avait le même âge, tous très jeunes. Et on mangeait à une table ronde. Il y en avait un bacillaire et un autre tuberculeux… Et c’est là que j’ai fait une infection rapide ! Le médecin de l’usine m’a expédiée, il ne voulait plus me voir à l’usine. Mais je ne suis pas allée au sanatorium. Je crois que je suis allée quelques jours à l’hôpital et puis ensuite dans les montagnes, dans les Vosges : une petite pension de famille, où ils me chouchoutaient. Mais j’étais toute seule.

 

 

Mon mariage, le mariage de mon frère

– Ils sont venus à Paris quand tu es partie à Nantes. Et François il était déjà à Paris ?
– Il n’était pas à Paris, il était à Creil.
– Bref il était dans la région.
– Alors, c’était un mariage impossible. La famille de Jacqueline était hyper antisémite.
– Ça c’est dingue… Et ton père il a pas voulu aller à … Il s’est marié à l’église c’est ça ? Ça quand même, ça a dû vous faire bizarre. Ta mère y est allée ?
– Oui et moi aussi. Parce qu’on s’est dit : “ce pauvre François”. Mais Papa, il ne pouvait pas.
– Quelle idée quand même. C’est bizarre quoi, d’épouser une fille comme ça.
– Il s’est toqué d’elle. Alors à l’époque tu sais il y avait des “marieuses”. Moi, on a voulu me marier je sais pas combien de fois. Et quand je suis partie à Paris, ma tante Fofo a dit : “Bon, ben elle se mariera jamais”.
– T’avais quel âge ?
– 25 ans.

À l’époque il y avait des “marieuses”. Moi, on a voulu me marier je sais pas combien de fois ! Et quand je suis partie à Paris, en 1948, ma tante Fofo a dit : “Bon, elle ne se mariera jamais…”
Je me suis mariée en 1955, et puis je suis partie à Nantes. Mes parents se sont dit que Nantes-Mulhouse, ça faisait trop loin. Alors ils sont venus à Paris. Mon frère était déjà dans la région parisienne, à Creil.
Il s’était toqué de cette fille, mais la famille de Jacqueline était hyper antisémite ! Et il s’est marié à l’église ! Ma mère y est allée, et moi aussi, parce qu’on s’est dit : “ce pauvre François”… Mais Papa, il ne pouvait pas…

GrandPa

À l’école : sur les bancs ou dans le chœur

Je suis né à la Maison Blanche et j’ai été baptisé à « Bethléem ». L’église de Bethléem. La Maison Blanche, c’était une ferme. C’était pas son vrai nom, son vrai nom c’était la Tambride, une ferme qui n’existe plus. Il y a encore les bâtiments mais c’est construit tout autour. Et c’était à 3km. Donc le matin, réveil 6h, départ 7h, et école à 8h. On se tapait 3km aller et 3km retour !

L’église Notre-Dame de Bethléem de Clamecy a été construite en 1926 en ciment armé – c’est l’une des premières constructions utilisant ce matériau. Son architecture s’est inspirée des sanctuaires byzantins, avec sa grande coupole centrale. Aujourd’hui classée monument historique, l’église est désaffectée. Sa crypte est couvertes de fresques de style cubiste.
 

Pour moi, l’école primaire s’est passée pendant la période de guerre. De 1938 à 1946. Ils n’avaient pas de profs, à l’époque, c’était des vieux qui faisaient ça, qui n’avaient aucune formation. Ils suivaient leurs bouquins, et puis : « Récitez-moi ça, fais-moi ci, fais-moi ça »… un coup de règle sur les doigts, et paf, une paire de claques. Ça ne m’emballait pas trop, alors j’avais trouvé la combine d’être enfant de chœur – mon école était catholique. Mon record dans la journée, ça a été 4 enterrements ! Mon père n’en savait rien, mes parents ne savaient pas. Ils savaient que j’étais enfant de chœur le dimanche, mais pas que je faisais des enterrements comme ça… Du reste, quand mon père l’a su, il a été voir le directeur et lui a dit : « Maintenant c’est fini, ça. Hop, au boulot ! »


“Récitez-moi ça, fais moi ci fais moi ça, un coup de règle sur les doigts, et paf, une paire de claques. J’avais trouvé la combine d’être enfant de chœur. Parce que là où j’étais, c’était une école catholique. Mon record dans la journée, ça été 4 enterrements, mon père n’en savait rien, mes parents ne savaient pas. Ils savaient que j’étais enfant de chœur le dimanche, mais pas que je faisais des enterrements comme ça. Du reste quand mon père l’a su, il a été voir le directeur et lui a dit : ‘Maintenant c’est fini, ça. Hop, au boulot !’ On attaquait la 3e dictée à midi ! Ça ronflait là, oh la la…”
 

 

En voiture, Simone !

Après le Certificat d’études, j’ai dit : « Ouf, ça y est ! Débarrassé. Au moins on va me ficher la paix avec ça ». Ce que j’avais pas vu, c’est qu’il se préparait un paquetage, dans une pièce de la maison. Et à un moment, on m’a dit : « Allez, en voiture, Simone ! »… et on m’a emmené en pension. On m’a pas demandé mon avis. À la pension, il n’y avait pas des vacances comme maintenant. C’était la Toussaint – pas grand chose–, y avait Noël et les grandes vacances. On arrivait fin septembre et on finissait le 15 août. Et à la ferme, il fallait faire tous les travaux avant de repartir. Quand ça été fini, au bout de 3 ans, mon père a dit : « Maintenant, tu vas faire… »
« Ah non, c’est fini, ce coup là, c’est terminé ! », j’ai dit.

 

 

Le tracteur Gazogène 3,
un sacré engin !

Mon père, pendant la guerre, avait eu un bon pour acheter un tracteur Renault, un Gazogène 3 : vous ne pouvez pas vous imaginer le bordel que ça peut être ! On coupait des petits bouts de bois grands comme ça et de la charbonnette gros comme mon bras. Et fallait couper ça sur une scie circulaire ; fallait pas de sciure. Fallait faire attention, c’est comme ça que j’ai une main qui a été marquée, le bout de bois a tourné, et puis ma main a été traîner dans la scie… Et pour mettre un tracteur comme ça en route, le matin, il fallait 2 heures : tout nettoyer… Et il ne fallait surtout pas l’arrêter, parce que s’il s’arrêtait, pour le remettre en route, c’était la croix et la bannière. Quand je suis rentré de pension, j’ai dit à mon père : « Ton char d’assaut, maintenant, c’est fini ! » À l’école, des firmes (à l’époque ils étaient intelligents dans les firmes) étaient venues nous faire la démonstration et nous faire essayer les tracteurs. En France, il y avait Renault, c’était à peu près tout, et c’était des chars d’assaut. Mais il y avait tout ce qui venait d’Amérique : Oliver, John Deere, McCormick, Massey-Harris…

“Pas d’essence, pas d’importance !” C’est la fierté des campagnes françaises, dans les années 1920, de pouvoir labourer, moudre, presser grâce au gazogène, un moteur au bois et charbon de bois assurant l’indépendance énergétique… Le « gaz des forêts », utile en période de pénurie, sera remplacé après guerre par le diesel, tout de même plus pratique d’utilisation !
 

 

Papa, les Américains
et l’alcool de bois

Le débarquement a eu lieu en 1944. En février 1945 on est partis en Normandie, chercher des jeunes veaux parce qu’on n’avait plus de bétail, et mon père avait eu un copain, prisonnier avec lui, qui lui avait communiqué qu’il pouvait lui trouver des bêtes. C’est incroyable, on était vraiment dans la pleine Normandie ! C’est-à-dire que la ferme était dans le fond d’un trou où il y avait un point d’eau. Tu avais l’étable, la maison d’habitation… tout ça se tenait. Les portes communiquaient entre elles… Y avait pas de route pour descendre. La voiture restait sur le faîte, sinon on ne pouvait pas remonter. Et à l’époque, en 1945, les Américains, ils débarquaient. Ils remontaient sur l’Allemagne à ce moment, sur l’Allemagne, sur l’Est, enfin un peu partout. Et y avait un pipe line, un tuyau qui montait le carburant qui venait de la mer, dans les bateaux, et qui les suivait. On n’avait pas le droit de passer dans ce coin là. Ils avaient ce qu’on appelait la « MP » ( Military Police), avec des carabines. Tu pouvais pas approcher, là. Parce qu’ils ne faisaient pas de sommation avant de tirer.

Et donc il fallait faire des tours, et ils nous ont arrêtés, à un moment, les Américains, pour savoir avec quoi on roulait. C’était de l’alcool de bois. L’alcool de bois était fabriqué à Clamecy : ça puait ! Les Américains, ils ont bien vu que c’était un fût à essence… Ils ont voulu qu’on le débouche. Mais comme on ne connaissait pas leur langue et qu’ils ne connaissaient pas la nôtre, on a ouvert le bidon, et mon père a fait comprendre que c’était pour mettre dans la voiture. Quand l’Américain a mis le nez au dessus, il a fait une mine, l’air de dire : « Fermez moi ça et puis foutez moi le camp ! »

 
“L’alcool de bois était fabriqué à Clamecy. Mais ça puait, vous pouvez pas vous imaginer ! Et on en utilisait beaucoup : si aujourd’hui, on en fait 5-6 litres, on en faisait 15 litres, à l’époque. Et les huiles n’étaient pas ce qu’elles sont maintenant… Fallait emmener le carburant, fallait emmener l’huile, fallait emmener un flotteur, parce que ça bouffait l’étain qui était sur les flotteurs, ça bouffait tout. Et on s’est fait arrêter par les Américains, ils ont bien vu que c’était un fût à essence, ils étaient pas cons à ce point là… Ils ont voulu qu’on le débouche. Mais comme on ne connaissait pas leur langue et qu’ils ne connaissaient pas la nôtre, on a ouvert le bidon, et mon père a fait comprendre que c’était pour mettre dans la voiture. Quand l’Américain a mis le nez au dessus, il a fait une mine, l’air de dire « fermez moi ça et puis foutez moi le camp ! »
 

 

Les prisonniers de guerre

J’ai passé un bac agricole. Mais ça n’avait rien à voir avec le bac agricole d’aujourd’hui. À l’époque, il y avait des cours et de la pratique. Par promotions : 4 demi-journées de pratique par semaine. On faisait tout ! Le matin, si t’étais de vacherie (les vaches à lait), tu te levais à 6h. Celui qui nous commandait, c’était un allemand prisonnier. C’est lui qui nous commandait, parce que c’était lui le vacher. J’étais entre 1946 et 1949, moi, là-dedans. Un prisonnier qui venait de la Russie. Tu penses bien qu’il n’allait pas retourner dans son pays, celui-là. Il était pas pressé ! Il avait « PG » dans le dos : « Prisonnier de Guerre ». Tous les prisonniers avaient ça. Sur la capote c’était marqué « PG ». Tous, à la craie, à la chaux…

Après la Libération, environ 525 000 soldats allemands sont restés prisonniers de guerre en France, et ont aidé à reconstruire le pays.

Chez mes parents, il y en a eu 5, de ces gens-là. Les premiers qui sont partis sont ceux qui ont été libérés par les Américains. Ceux-là sont partis de bonne heure. Mais ceux qui ont été libérés par les Russes, ils n’avaient pas tellement envie de partir. Ils avaient des professions différentes. C’était des artisans ces gars-là, et ils travaillaient dans la ferme. Ils ont appris le français. C’était des gars qui avaient 40-50 ans, qui avaient des enfants, là bas. On en avait 5. Y avait un maçon, un maréchal-ferrant, un mécano, un boulanger et puis le dernier je ne me souviens pas. Ils essayaient de travailler là et d’être peinards. Surtout pas dans un camp. Parce que dans un camp, c’était serré et ils ne mangeaient pas comme chez nous. Ils étaient logés, nourris, blanchis. De temps en temps, on leur donnait ce qu’on appelait des vêtures c’est-à-dire pantalon, chemise, caleçon… C’est eux qui lavaient leur linge, ils se débrouillaient tout seuls.

 

 

Le travail à la ferme

L’agriculture, c’était pas comme maintenant. Les vaches à lait maintenant c’est une profession : y a la traite le matin, la traite le soir, et c’est fini. Avec, maintenant, des installations : les vaches vont se faire traire toutes seules, elles se débrouillent toutes seules. Elles vont manger toutes seules. Et puis les vaches à viande, à cette époque-ci, c’est rentrer dans les stabulations, faut leur donner à manger, faut refaire de la paille, faut faire les vélages… Mais chez nous c’était pas ça : y avait des vaches à lait, des vaches à viande, y avait des moutons, des porcs, y avait des céréales… On était toujours en train de travailler. On allait chercher du foin, on montait dans le chariot… Eh oui ! Et puis y avait aussi les fruits à ramasser, y avait les pommes, les poires, les cerises… Fallait ramasser tout ça, oh la la ! Y avait tout le temps du boulot ! À la fin de l’été, c’est pas que l’école m’emballait tellement, mais j’appréciais de repartir à l’école, pour retrouver les copains. Et puis mon frère c’était pareil. Et puis les autres c’était comme ça, tous ceux de mon âge c’était comme ça.

 

 

Les amis

Quand j’étais à l’école primaire j’étais ce qu’on appelle demi-pensionnaire ; c’est-à dire qu’on arrivait le matin et on rentrait après les devoirs. On mangeait sur place. Là, j’avais des copains. Des copains qui ont 85-90 ans aujourd’hui. Les trois-quarts sont décédés. J’en ai enterré un, encore, y a pas longtemps. Des amis, j’en enterre un tous les 15 jours-3 semaines. Voilà, c’est comme ça… Y en a un qui est en train de décéder : il est à Corbigny, il est de mon âge. Alfred Daupin, dit « Freddy ». Malheureusement il est dans un lit, il entend ce qu’on dit mais il ne peut plus parler, faut le faire manger, bref… Il y avait son cousin, j’étais à l’école primaire avec lui, on s’est retrouvés à Fontainebleau à l’armée. On est rentrés. On s’est retrouvés après à Bourges, rappelés. On est partis au Maroc ensemble.
On n’avait pas le temps d’avoir des copains quand on était jeunes. C’était sans arrêt, à la ferme, on était tout le temps en train de jongler. Et puis après à l’armée, j’avais des bons copains mais ils étaient de la région parisienne. Nous on était de la Nièvre…

 

 

Le bal du samedi soir, les filles

Ça n’avait rien à voir avec vos danses, où vous vous trémoussez, là… On dansait la valse, le tango… Un homme une femme. Les mères étaient là, pendant le bal. Et le jeune homme demandait à la maman ! Si la fille avait déjà un copain, la mère le savait ou pas… Le mec venait et faisait danser la fille : s’il plaisait à la mère, pas de problème. Si ça plaisait pas, la fille, elle restait sur le banc ! C’était pas comme maintenant, c’était très strict !

“– Un bal du samedi soir. Comme tous les bals qu’y avait à l’époque. Ça n’a rien à voir avec vos danses, où vous vous trémoussez, là. On dansait la valse, le tango…
– (GrandMa) Un homme une femme, tu vois ! Et le jeune homme il demandait au papa !
– C’était la maman, plutôt. Et si la fille, elle refusait, elle pouvait pas refuser au deuxième, hein ! Si elle avait refusé à un, le 2e c’était pas la peine qu’il se pointe. J’veux pas dire que c’était des règles. Mais une fille, elle avait des vues sur un mec. Comme par hasard c’est pas lui qui est arrivé, ç’en est un autre. Elle lui refuse, mais après, fallait pas qu’elle reparte avec l’autre mec, hein !”
 

On allait à la foire à Corbigny tous les 2e mardis du mois. On se retrouvait toute une bande, garçons et filles. Nous, on allait sur le champ de foire, on regardait les bêtes vite fait : si on n’avait pas à s’en occuper, on se taillait et on allait voir les copines. À midi on se retrouvait à 5, 6 ou 7 au café et on buvait des « guignolet kirsh » – apéritif à base de liqueur de cerise. Si on était 5, c’était 5 tournées : les filles payaient leur tournée pareil !

Le champ de foire de Corbigny. La foire aux bovins et ovins est restée, de nos jours, un moment fort de l’année à Corbigny.
“On se retrouvait toute une bande, garçons et filles. Alors nous, on allait sur le champs de foire, on regardait les bêtes vite fait, si on avait pas à s’en occuper, on se taillait et on allait voir les copines. À midi on se retrouvait 5-6-7 au café et on buvait des guignolet-kirsh. Si on était 5, c’était 5 tournées ! Les filles payaient leur tournée pareil.
– C’est quoi un guignolet-kirsch ?
– Guignolet, avec du kirsch.
– C’est quoi un guignolet ?
– C’est à base de cerise. “
 

 

Les vacances

Les vacances, j’en ai pas eu. À 12 ans, l’école se terminait fin juin-début juillet et on rentrait début septembre. Et c’était : garder les vaches, garder les moutons, c’était être derrière les chevaux, relever des gerbes, c’était faire du foin, c’était biner les betteraves, c’était ça, sans arrêt, sans arrêt… J’habitais dans une ferme à Clamecy, à 40km d’ici. Le matin, c’était comme à l’école, c’était réveil à 6h, coucher à 8h, 9h ou 10h : il n’y avait pas de télé, pas de machin comme ça, pas de journaux… On marchait avec le soleil. Le matin, on nous réveillait « Allez ! Y a ça à faire, y a ceci, cela… » Il fallait se dépêcher. On n’a jamais su ce que c’était que des vacances.

 

Mes premières vacances, c’est quand je me suis marié, j’avais 28 ans. On est partis dans le Midi en voiture… mais autrement j’savais pas ce que c’était. Ah non non : boulot boulot ! Quand j’ai commencé de travailler, je suis rentré dans la vulgarisation. Le matin avant de partir, il y avait des choses à faire à la ferme ; le soir si je rentrais assez tôt – ça dépendait du travail que j’avais à faire sur le terrain –, en rentrant j’avais encore du boulot à faire.